Poète méticuleux, esthète rationnel, Dominique Ropion est un oxymoron à lui seul. À la virtuosité, ce parfumeur toujours modeste malgré le succès, ajoute une qualité presque surannée : la gentillesse. Quel rapport avec la parfumerie ? Juste une impression d’humanité qui rend le talent encore plus épatant…
« Enfant, je sentais tout, même une poignée de main ! se rappelle en riant Dominique Ropion. J’appréhendais le monde par les odeurs, davantage que par les parfums »… Presque une ironie pour ce parisien qui grandit entre une mère et un grand père employés chez Roure à Argenteuil, l’une des grandes sociétés de parfumerie du XXe siècle. « J’ai découvert ce métier très tôt, mais l’idée m’est venue beaucoup plus tard » résume-t-il avec une pointe d’étonnement. Lycéen, j’ai pourtant fait de nombreux jobs d’été chez Roure, mais le bac en poche, c’est vers la physique que je me suis orienté, car j’avais d’abord pensé à une carrière d’ingénieur »…
Le hasard, qui a fait de Dominique Ropion l’un des grands parfumeurs contemporains, se présente sous la forme d’un stage d’université. Effectué chez Roure au service Chromatographie, il y est alors sollicité par Jean Amic, président de la société, pour intégrer l’école de Parfumerie maison. « On m’a présenté ce métier comme un parcours de patience et d’apprentissage et ça me correspondait tout à fait. J’ai rencontré Jean-Louis Sieuzac et Pierre Bourdon (parfumeurs de la société à l’époque) : tout était en place pour que je mette le pied à l’étrier et je me suis laissé convaincre » commente-t-il, rétrospectivement.
C’est encore le hasard qui le propulsera sur le devant de la scène « parfumistique » au début des 80’. Une soumission, retenue par Givenchy au terme d’un challenge particulièrement mouvementé, qui figurera bientôt sous le nom d’Ysatis dans le palmarès de la marque. Premier coup de maître à 27 ans, le jeune parfumeur débarque dans la cour des grands : « ça m’a ouvert en grand les portes de la parfumerie alcoolique, le nec plus ultra de la profession » !
Après 12 ans chez Roure, 10 ans chez Florasynth où il rejoint Jean-Louis Sieuzac (un fameux complice de l’époque Roure), puis un passage chez Dragoco, Dominique Ropion rejoint en 2000 l’équipe parfumerie fine d’IFF ( International Flavors & Fragrances ) à Paris. Nouveau souffle, nouvel élan créatif, il y peaufine un savoir faire déjà largement reconnu et une approche toujours artisanale (dans le meilleur sens du terme) pour allonger la liste de ses succès. « J’aime l’idée de travailler le parfum comme une forme olfactive, tel un sculpteur ou un architecte… Aller à fond dans l’étude scientifique de la constitution d’une matière première naturelle pour me laisser gagner ensuite par son esthétique est pour moi une grande satisfaction de l’esprit », admet cet épicurien discret.
L’inspiration ? Je la cherche souvent à partir d’un thème central, composé autour d’une matière première que j’ai envie d’évoquer. Puis je la façonne, avec des reliefs, des effets de volume et de contraste. On compare parfois le vocabulaire de la musique et celui du parfum, moi je trouve que notre travail est bien plus concret » ! Un travail qu’il partage aussi volontiers, dans cet esprit d’équipe dont il apprécie la richesse autant que la dynamique. Un travail qui n’en finit pas de le passionner et dont on attend forcément avec beaucoup d’impatience de nouvelles révélations
« J’ai l’air d’un bandit, d’un gangster de la mafia ! C’est drôle, je ne pensais pas que l’on pouvait me voir comme ça… Pourtant le regard n’est pas trop méchant, il y a même de la bienveillance. Mais on dirait bien que je regarde les choses avec une certaine distance, un sérieux qui ne me ressemble pas tout à fait, dans le sens où je ne me prends pas au sérieux » ! L’image l’amuse sans l’incommoder « tout ça n’est pas d’une importance capitale » confie Dominique avec une sagesse sans posture.
Des notes de fond volatiles, des citrus persistants, tout ce qui peut changer l’ordre des choses et transformer la perception des parfums me fait rêver. Pour cela, nous aurons besoin d’appréhender autrement la formulation, comme une nouvelle cuisine des ingrédients, pour leurs donner des effets inattendus…